Il y a quarante ans, le dimanche 10 mai 1981, François Mitterrand était élu président de la République. L’occasion de revenir sur l’engagement de la CFDT durant ce scrutin.
C’est au Bureau national de février 1980 qu’a lieu une première discussion sur l’échéance présidentielle, suivie d’un large débat à la séance de septembre. Indiquant sa préférence quant au courant politique le plus à même de répondre à ses revendications, mais sans donner de consigne de vote, une première déclaration du Bureau national -le 9 octobre 1980- constitue la base de l’orientation de la confédération pendant toute la durée de la campagne électorale. Le Bureau national y rappelle d’entrée de jeu que son implication dans la campagne relève d’une démarche syndicale (le « rapport Moreau » ayant été adopté peu de temps auparavant). Il indique clairement qu’il n’attend pas tout du politique, mais que l’élection présidentielle reste malgré tout un moment pour faire bouger certaines lignes : « La CFDT rejette toute stratégie visant à entretenir l’illusion ou le renoncement. L’illusion conduirait à attendre du Président de la République qu’il prenne en charge tous les problèmes : cette élection n’est pas le seul moment et l’Elysée n’est pas le seul lieu important pour la vie du pays. Le renoncement conduirait à sous-estimer l’importance de la fonction présidentielle dans la société française actuelle. C’est pourquoi la CFDT continuera à développer une large mobilisation populaire pour faire avancer, y compris à l’occasion de cette élection, des transformations significatives ».
De novembre à décembre 1980, les travaux se poursuivent dans les instances confédérales pour construire et adopter une déclaration. Adoptée au Conseil national de janvier 1981[1], elle fait état de ce qu’il faut changer et des « grands choix » à prendre :« […] Elargir les libertés et la démocratie […], modifier le type de développement […], lutter pour la paix et les libertés dans le monde […] ». Votée par 1327 mandats (avec 4 non et 187 abstentions), elle traduit la grande homogénéité de l’organisation sur cette question.
En avril 1981, à l’approche du premier tour, la Commission exécutive insiste sur « […] la nécessité de faire plus nettement apparaître les priorités revendicatives de la CFDT »[2] à l’issue des élections présidentielles. Il est décidé qu’au 11 mai, l’action confédérale s’intensifiera auprès du candidat élu en faveur de la création d’emplois et de la réduction des inégalités avec comme objectifs : la revalorisation du Salaire minimum de croissance (SMIC) et des bas salaires, la réduction de la durée du travail vers les 35 heures et l’extension des contrats collectifs. Les déclarations publiques d'Edmond Maire et les communiqués de presse insistent également sur la succession des échecs des politiques précédentes sur les questions de la jeunesse, de l’emploi et des inégalités - notamment en ce qui concerne les droits des travailleuses et la volonté des femmes à exercer une activité professionnelle.
À l’annonce des résultats du premier tour du scrutin, la Commission exécutive se réjouit et appelle à voter en faveur de François Mitterrand au second tour : « […] le score de la gauche socialiste porteuse de liberté, de bien être social, de lutte pour la paix et de solidarité avec les peuples contre tous les impérialismes représente un grand espoir pour les travailleurs. ». Elle poursuit : « […] Il faut changer de président. La voie dans laquelle François Mitterrand a publiquement promis de s’engager recoupe sur de nombreux points les propositions sur lesquelles la CFDT se bat depuis des années et qu’elle a rappelées pendant la campagne. […] ». Et termine : « […] Pour la CFDT, l’élection de François Mitterrand le 10 mai prochain doit permettre de s’engager dans la voie du changement. »[3]
Deux semaines plus tard, au soir du 10 mai, la Commission exécutive publie une déclaration intitulée « Ensemble, construisons le changement ». Se félicitant de la victoire de François Mitterrand, elle voit dans ce succès un possible nouveau départ pour l’action syndicale. Pour autant, elle rappelle que « l’essentiel reste à faire » et qu’elle ne croit pas à l’homme providentiel ni au grand soir : « La CFDT a dit, tout au long de la campagne et au nom de son indépendance syndicale quelle sera son attitude : ni confiance passive, parce que le changement ne peut venir d’un seul homme ou d’une équipe nouvelle au pouvoir, ni surenchère, car tout n’est pas possible du jour au lendemain ». Elle entend faire aboutir ses priorités revendicatives par le biais d’une action syndicale moteur de la transformation sociale. C'est dans ce cadre que l'affiche « heureux » est réalisée et porte le slogan "Nous vivrons ce que nous changerons".
[illustrateur non identifié]. - Paris : CFDT, [ca 1976-1988] (Paris : Atelier Montholon-Services). - Affiche couleur ; 60 x 40 cm. Coll. Archives CFDT
« Le 10 mai de la CFDT a débuté le 9 », comme le rappelle Jean-Michel Helvig [4]. Ainsi, Edmond Maire -et Jacques Chérèque- rencontrent-ils François Mitterrand dès le 9 mai (ce dernier est donné gagnant par les sondages) pour lui exposer certaines de leurs craintes quant aux premières mesures qui seront prises. Une réunion extraordinaire du Bureau national se tient le 12 mai [5] afin de mettre en œuvre la stratégie revendicative confédérale. Edmond Maire rencontre "officiellement" François Mitterrand le 14 mai, et une délégation CFDT est reçue à l’Elysée le 26 mai. Elle remet au nouveau président de la République son « Mémoire sur les priorités revendicatives de la CFDT »[6] dans lequel elle insiste notamment sur la négociation collective et l’organisation de la négociation dans l’entreprise sur les questions essentielles aux travailleurs (structures et évolution des salaires, formation professionnelle, organisation du temps de travail, droit d’expression). En juillet 1981, la Confédération remettra au gouvernement un dossier sur les droits nouveaux qu’elle revendique pour accroître le pouvoir des syndicats et des salariés dans les entreprises. Le droit d’expression des salariés est une de ses revendications phare : les lois Auroux de 1982 en porteront la marque.
Rencontre entre Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, et François Mitterrand, président de la République, à l'Hôtel Intercontinental, le 14 mai 1981. (CE/6/1981/3703)
Crédit : Pascal Lebrun / Coll. Archives CFDT
Pour aller plus loin :
[1] Archives confédérales, CG/10/35.
[2] Séance de la Commission exécutive du 8 avril 1981, note intitulée "Réaffirmer les priorités revendicatives au lendemain des présidentielles" conservée sous la cote CG/8/876 (Archives confédérales).
[3] Archives confédérales, CH/8/153.
[4] Jean-Michel Helvig, Edmond Maire, une histoire de la CFDT, Seuil. Incipit du chapitre Le « ministère » de la rue Cadet (p.389).
[5] Archives confédérales, CG/9/125.
[6] Archives confédérales, CH/8/118.