Jean Maire, alors secrétaire général de la Fédération de la métallurgie, est invité par le gouvernement américain pour un voyage d'information sur la vie économique du pays.
Présentation du contexte
Dans un courrier adressé à deux membres de la Commission for International Development[1], René Salanne[2] fait mention de la venue de Jean Maire aux États-Unis et leur demande de prendre contact avec lui car, en tant que Secrétaire général de la FGM, « il dirige la fédération qui pèse le plus à la CFTC et qui a toujours été à l’avant-garde de [l’]organisation ». On y apprend que Jean Maire est invité aux Etats-Unis pour un séjour d’un mois « dans le cadre des missions leaders offertes aux organisations syndicales démocratiques françaises ».
Ce voyage, réalisé du 18 juin au 21 juillet 1963, se fait à l’invitation du gouvernement américain et propose « un voyage d’information » sur « les différents aspects de la vie américaine ».
Ainsi, dans le cadre de la formation internationale des responsables syndicaux, les militants CFTC bénéficiaient, dès 1955, de voyages d’études à l’étranger, financés par les États et par des organisations. Il s’agissait, comme le dit Claude Roccati dans sa thèse Un internationalisme entre discours et pratiques, la politique internationale de la CFDT (1964-1988) « de découvrir les modèles syndicaux des autres pays, sur leur invitation. Depuis 1955, le Ministère du travail étatsunien avait ainsi convié une dizaine de syndicalistes CFTC durant plusieurs semaines pour examiner le fonctionnement des organisations syndicales américaines. »
Lors de ce voyage, Jean Maire traverse de nombreuses villes américaines : Washington, Pittsburg, New-York, Buffalo, Detroit, Madison, San Francisco, La Nouvelle-Orléans, Knoxville. C’est l’occasion pour lui de découvrir une société différente, mais aussi de se confronter à la ségrégation raciale.
Carte postale envoyée à Jean Maire suite à son voyage, septembre 1963 (CP/30/19°
Présentation du document
Ce qui frappe à la lecture du document proposé ici, et plus généralement dans le fonds d’archives de Jean Maire, c’est l’extrême précision des descriptions faites. Le secrétaire général détaille chacune de ses rencontres, décrivant avec soin les lieux visités et offrant un instantané de l’Amérique des années 1960.
Note à propos du voyage en avion depuis Paris vers New-York, juin 1963 (CP/30/19)
Rencontre des responsables patronaux et syndicaux de l'industrie métallurgique, Pittsburgh, 26 juin 1963 (CP/30/19)
A l’occasion de ses voyages d’études, il réalise deux types de comptes rendus : d’un côté, le rapport officiel, destiné aux instances statutaires, présentant de façon complète la situation économique et sociale du pays. L’objectif est d’avoir un panorama précis de la situation afin de définir le type de relations à nouer avec les syndicats et travailleurs américains. Ces comptes rendus sont repris dans la presse syndicale et diffusés aux militants. De l’autre, Jean Maire rédige des notes plus personnelles, pas nécessairement destinées à sortir du cadre du privé, et fait part de son ressenti. Ces nombreuses notes manuscrites, prises chaque soir, et multipliant les détails qui peuvent parfois apparaître anecdotiques, rendent dans le même temps vivantes les rencontres décrites. Elles laissent transparaitre les sentiments du secrétaire général de la FGM et s’apparentent davantage à un journal ou un carnet de voyage. Jean Maire alterne visites officielles (usines, délégations syndicales) et moments plus conviviaux où il loge chez l’habitant (syndicalistes, militants associatifs). A New-York, il a ainsi l’occasion de passer quelques jours en compagnie de Joseph Botton, membre de la fédération de la métallurgie CFTC entré en résistance durant la Seconde guerre mondiale, ayant dû fuir aux États-Unis avec Paul Vignaux en 1941 avant d’être naturalisé américain.
Rencontre avec Joseph Botton, New-York, 29-30 juin 1963 (CP/30/19)
Remarques sur la ségrégation aux États-Unis, Nouvelles-Orléans, 16 juillet 1963 (CP/30/19)
S’ajoutent à ses propres écrits, des cartes annotées, des dépliants de présentation des installations industrielles, des cartes de visites récupérées auprès de ses interlocuteurs… autant de documents enrichissant ses impressions de voyages.
De ce fait, le langage utilisé est plus léger, le style plus télégraphique, car rédigé en quasi–simultané. Les personnes rencontrées sont d’horizons divers : syndicalistes, ouvriers, directeurs d’usine, membres du clergé américain, membres de la JOC, militantes antiracistes.
En creux, on découvre une société où la division entre blancs et noirs est une réalité concrète et violente. Jean Maire en fait part dans ses notes à l’occasion de la visite de la Nouvelle-Orléans :
« - Restaurants interdits aux noirs. Chacun les siens.
- Plage sur le bord du lac : pour chaque couleur.
- Dans les trams ou bus : les blancs ne s’assied (sic) pas à côté des noirs. Noirs de même (sauf rares exceptions). »
Il faudra attendre l’année suivante, en 1964, pour que les lois ségrégationnistes soient abrogées part le Civil Right Act.
Pour aller plus loin
[1] Lettre de René Salanne à Caroline Pezzulo et Michael Coleman, 11 juin 1963 (CH/7/647).
[2] René Salanne (né en 1927) : secrétaire confédéral CFTC-CFDT (1962-1970), membre de la commission exécutive de la CFDT en charge du secteur international (1970-1979).