Document du moment : Solidarité avec les travailleurs sans papiers de la confection, 1980
Le 03/02/2021 à 14h22 par Florence Garel
Résumé

De février à juin 1980, la CFDT lutte aux côtés des travailleurs clandestins de la confection du quartier du Sentier à Paris pour obtenir leur régularisation et l’amélioration de leurs conditions de travail.

En décembre 1979, après une mobilisation à l’appel des organisations syndicales et de vives réactions dans l’opinion publique, la loi Bonnet[1] relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France est adoptée. Quelques mois plus tard, le 8 février 1980, au cours de l’émission « Le Nouveau Vendredi » la chaîne FR3 diffuse le documentaire « French confection » réalisé par Michel Honorin[2]. Le reportage révèle les conditions de vie et de travail des travailleurs clandestins de la confection à Paris.

 

Les téléspectateurs découvrent alors l’ampleur du scandale. Près de 10 000 travailleurs immigrés, majoritairement originaires de Turquie, recrutés et amenés en France avec la promesse d’un contrat de travail, travaillent à la pièce douze à quinze heures par jour dans le millier d’ateliers de la confection de la région parisienne, dont beaucoup dans le quartier du Sentier à Paris (2e arrondissement)[3]. Isolés, parfois avec leur famille, sans papiers, sans droits, sans couverture sociale, leur travail qualifié à moindre coût bénéficie aux entreprises, intermédiaires et grossistes de la confection.

 

 

S [signature de l’illustrateur, non identifié]. - Paris : CFDT, [ca 1979-1982]. (Paris : Imprimé au siège - 26 rue Montholon). - Affiche couleur ; 60 x 39 cm. Coll. Archives CFDT

 

 

Dès le 11 février, utilisant l’intérêt médiatique suscité par le reportage auxquels ils ont participé, dix-sept ouvriers turcs, directement visés par les dispositions de la loi Bonnet, entament une grève de la faim pour obtenir des cartes de séjour et de travail et se battre contre leur exploitation. Ils s’organisent rapidement, se syndiquent à la CFDT et avec elle engagent la défense de leurs droits. L’Union régionale parisienne (URP), l’Union départementale (UD) de Paris, le syndicat HaCuiTex de Paris et la fédération HaCuiTex-CFDT (Fédération de l'habillement, cuirs et textiles) soutiennent le mouvement et s’impliquent dès le début dans cette action. Déjà engagée dans la lutte contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail, la CFDT dénonce vigoureusement la surexploitation de ces travailleurs et exige leur régularisation et l’application des salaires et droits sociaux légaux et conventionnels. Elle dénonce également l’inaction du gouvernement, et des services officiels compétents, pour lutter contre le travail illégal dans le secteur de la confection. Le mouvement de solidarité, et d’opinion en faveur de la régularisation des travailleurs, prend rapidement forme et s'appuie sur une trentaine d’organisations humanitaires, syndicales et politiques. Un premier meeting de soutien, rassemblant plus de 1000 personnes, a lieu le 20 février à la Bourse du travail de Paris. À sa suite, la CFDT rencontre Lionel Stoléru, secrétaire d’État auprès du ministre du Travail et de la participation, chargé des travailleurs manuels et immigrés. Il s’engage à constituer un groupe de travail réunissant l’administration, des représentants de l’Ambassade de Turquie, des responsables de l’Union des industries de l’habillement et des membres des travailleurs turcs et de la CFDT.

Au fil des jours, la mobilisation gagne de l’ampleur. À la Mutualité à Paris le 29 février, c’est près de 3 000 personnes - dont les grévistes de la faim - que le meeting de solidarité rassemble.

 

 

 [non identifié]. - Paris : Union régionale parisienne CFDT, 1980 (s.l. : s.n.). - Tract texte imprimé noir sur fond beige ; 14,6 x 20,8 cm. Coll. Archives CFDT (Inventaire de la collection des tracts des Unions régionales CFTC-CFDT en cours de rédaction)

 

 

Le 5 mars, après vingt-deux jours, la grève de la faim est interrompue et les négociations se poursuivent. Les rencontres du groupe de travail se succèdent, ainsi que les meetings, galas et rassemblements de soutien (notamment les 2, 3, 11, 19 et 28 mars et 10 mai 1980). Le secrétaire d’État s’oppose à une régularisation massive mais est ouvert à des solutions individuelles. La CFDT fait alors des propositions concernant les critères et la procédure de régularisation des travailleurs. Dans cette perspective est mis en place un bureau de régularisation à l’Office national d’immigration (ONI) pour que les travailleurs y déposent leurs demandes de titres de séjour et de travail. Celui-ci est boycotté pendant trois jours. Forte de cette mobilisation collective, la négociation s’intensifie et la CFDT réclame l’élargissement de la régularisation à toutes les autres nationalités de la confection parisienne.

 

Après un conflit de quatre mois, le gouvernement cède et la CFDT obtient une mesure d’exception pour ces milliers d’ouvriers étrangers travaillant clandestinement dans la confection parisienne : la régularisation quasi automatique de leur situation pour ceux d’entre eux qui étaient entrés en France avant le 1er mars 1979. Cette action a marqué l’histoire de la CFDT par l’importance du rôle tenu par l’UD (Union départementale) de Paris et l’engagement collectif des organisations CFDT impliquées.

 

 

Pour aller plus loin :

  • CFI/7/27 : Affiche couleur de l’Union régionale parisienne CFDT « Travailleurs immigrés. Face aux difficultés de renouvellement des cartes de résidents et de séjour, ne restez pas isolés. Avec la CFDT, solidarité français immigrés. » (1979).
  • CH/8/1767 : Activités du Secrétariat national Immigrés de la confédération pour la régularisation des travailleurs clandestins turcs, philippins du Sentier et d'autres régions (1979-1982).
  • CH/8/1712 :  Dossiers de la Fédération Hacuitex sur les problèmes locaux des travailleurs immigrés (1980-1990).
  • CJ/4/42 : Syndicalisme Hebdo 1980 : n°1790-1841.
  • CS/9/13 : Paris Syndical CFDT, bulletin de l'Union régionale parisienne (URP) de janvier 1980 à décembre 1981 : n° 231 à 256.
  • BB/1/274 : Collectif sans papier de la CFDT, La régularisation des salariés sans-papiers (1ère édition) – Paris : CFDT (Liévin, imprimerie l’Artésienne), mai 2016, In-12, 38 p. : couverture illustrée. (Vivre ensemble, travailler ensemble, 3)
  • Archives de la Fédération de l'habillement, cuirs et textiles (HaCuiTex) :
    • FH/21/96 : Travailleurs immigrés de la confection, régularisation (1980-1982).
       

[2] Il obtient pour ce documentaire plusieurs récompenses dont le prix de la Fondation de France, le prix Albert-Londres audiovisuel et le prix spécial de l’Institut national de l'audiovisuel (INA).

[3] Archives confédérales, CH/8/1767.

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