Nouvelles Galeries
Le 22/11/2019 à 16h59 par Hélène Saudrais
Résumé

D’avril à juin 1972, pendant 69 jours, les employées des Nouvelles Galeries de Moselle entament une grève pour faire valoir leurs droits, notamment la revalorisation de leurs salaires mais aussi pour exprimer leurs difficiles conditions de travail. Des documents originaux ont été produits (BD, tracts illustrés, chansons etc.) à cette occasion.

Les Nouvelles Galeries possèdent trois magasins en Moselle (Metz, Thionville et Sarreguemines) et un dépôt à Richemont qui alimente ces trois magasins. La direction régionale de Metz s’occupe de ces quatre établissements, et s’insère dans la chaîne des grands magasins : « La société française des Galeries réunies ».

 

La main-d’œuvre est en majorité féminine. Les salaires sont donc très bas (salaire de 710 Fr par mois pour une vendeuse qualifiée : ce sont les salaires les plus bas du commerce pour des magasins semblables comme la Redoute ou Radar et le salaire moyen d’une femme ouvrière en 1972 est de 900 Fr par mois), les conditions de travail sont pénibles (travail de nuit, pas le droit de s’asseoir ni d’aller aux toilettes en dehors de certaines heures, pas d’accès à la salle de repos…) et les menaces de licenciements sont fréquentes et redoutées, d’autant que les emplois sont rares dans la région pour les femmes. La Lorraine propose ainsi beaucoup d’emplois dans la sidérurgie ou dans les mines, plutôt destinés à une main-d’œuvre masculine. Les femmes qui souhaitent travailler acceptent des emplois peu rémunérateurs : pour beaucoup, le salaire perçu ne représente qu’un complément de celui du mari. Les femmes seules ou cheffes de famille ont beaucoup de mal à vivre décemment avec leur salaire des Nouvelles Galeries.

 

Brochure Pirate n°2 sur les Nouvelles Galères (CP/23/6 ; FE/1/469)

 

D’un point de vue syndical, le personnel est peu organisé à Richemont et Thionville. Au sein de ces établissements Nouvelles Galeries, seul le syndicat FO est implanté mais, bénéficiant de la protection patronale, il peine à défendre les salariées. A Metz, la CFTC est majoritaire et bénéficie elle aussi de la bienveillance des patrons. Il existe également une section CGT moins importante.

 

Malgré la présence de syndicats, les salariées ressentent un mécontentement et un malaise profonds liés aux conditions de travail et au manque de reconnaissance. A Metz, ce mécontentement est récupéré par la CFTC mais surtout par la CGT qui lance quelques actions sporadiques. Au cours de la première quinzaine d’avril 1972, une partie du personnel de Metz mène une grève de 9 jours sur les revendications salariales sans obtenir de réelles satisfactions. Les responsables syndicaux et les grévistes ont tenté d’élargir, en vain, leur action aux magasins de Thionville et Richemont mais se sont heurtés à l’indifférence du personnel. La quasi-inexistence de structures syndicales rend difficile la circulation de l’information entre les différents établissements du groupe Nouvelles Galeries.

 

Pourtant, une réunion organisée à Richemont, le 13 avril 1972, attire la moitié du personnel du dépôt, démontrant ainsi la volonté d’action de la part des salariées. « Si nous voulons agir, il faut trouver autre chose, avec FO, on ne peut rien changer ». Les salariées décident donc d’adhérer à la CFDT qui, à l’époque, est coutumière des actions fortes (occupations d’usines, grèves de la faim, grèves, etc.). Le personnel veut organiser et lancer une grève immédiate et illimitée à partir du 17 avril. Sur les 120 membres du personnel du dépôt de Richemont, 100 décident de faire grève. Cette volonté d’action rapide marquera toute la durée du conflit. A l’issue de la réunion, les grévistes de Richemont rencontrent une partie du personnel de Thionville qui décide de s’inscrire dans le mouvement. Cette précipitation ne permet de rassembler que 80 grévistes : celles-ci représentent environ la moitié des vendeuses mais une minorité du personnel du magasin (300 employés).

 

Cette action met en évidence le ras-le-bol collectif des salariées sur leurs difficiles conditions de travail. Elles revendiquent entre autres une augmentation générale des salaires (+ 200 Fr) et un salaire minimum brut de 1000 Fr par mois, une prime de vacances de 300 Fr, une indemnité de transport, l’augmentation des effectifs pour pallier les absences et améliorer les conditions de travail, un meilleur équipement social (construction d’une cantine, aménagement d’une infirmerie, accès à la salle de repos) et le respect du droit syndical.

 

Tracts du syndicat du commerce CFDT pour inviter les employés des Nouvelles Galeries à voter (avril 1972) (CP/23/6).

 

Durant les premières semaines de grève (mi-avril-mi-mai), les jeunes femmes sont dans la rue, cherchant à paralyser le magasin de l’extérieur. C’est pendant cette période qu’on assiste à des altercations avec les brigades de police locales ou avec les pelotons de gardes mobiles notamment le 25 avril, où ces derniers interviennent brutalement à Richemont en utilisant des crosses de mousqueton et des gaz lacrymogènes. Dans la panique, un cadre des Nouvelles Galeries fonce en voiture sur le piquet de grève et blesse deux jeunes filles. La violence policière est presque quotidienne durant la durée du mouvement.

 

Devant le dépôt des Nouvelles Galeries de Thionville, les gendarmes mobiles tentent de déloger les grévistes. CFDT magazine n°1394 juin 1972, p. 14 (FE/1/469)

 

Début mai, la première négociation à l’Inspection du Travail de Metz commence, mais les concessions des patrons sont pratiquement nulles et les grévistes décident de renforcer leurs actions. Les clients des Nouvelles Galeries et les Lorrains en général soutiennent massivement la grève des employées. Les magasins sont occupés et servent de lieu de meeting. Afin de mettre un terme à ce conflit, les pouvoirs publics provoquent une rencontre, le 17 mai, entre la CFDT, les grévistes, la Direction et l’Inspection du Travail à la sous-préfecture de Thionville. En vain : les patrons refusent de faire des propositions convenables. Le 23 mai, les grévistes montent à Paris à la Direction générale des Nouvelles Galeries et manifestent devant le siège social. Là un des directeurs, M. Texier, affirme : « Je vous reçois parce que je suis poli. C’était inutile de venir ici. Ce problème doit être réglé sur le plan régional. » et les grévistes répondent « On est venu pour vous informer de ce qui se passait vraiment là-bas. Venez voir ce qui se passe sur place… On est venu pour montrer qu’on était toujours là ! On est parti à 80 et on s’est retrouvé à 300 dans la rue. Cela nous a toutes et tous remonté le moral ! ». Les grévistes ont inventé des chansons qui jouent un rôle considérable dans la popularisation de la grève et la cohésion du groupe.

 

Chansons « Ah ! Les petites femmes des galeries » et « Sur l’air de « J’habite en France » » affichées sur les murs de Paris à l’occasion de la venue des grévistes dans la capitale (CP/23/6)

 

Du 24 au 27 mai, l’occupation des escaliers du magasin de Thionville et le piquet de grève de Richemont continuent, même de nuit. Cependant, après de nombreuses démarches soldées par des échecs, la CFDT, l’Union départementale de la Moselle et la Fédération des Services se mettent d’accord pour défendre à l’Assemblée générale du 15 juin le principe de la reprise. A l’issue de cette assemblée générale, l’ensemble des grévistes, y compris le noyau dur, semble admettre, à contrecœur, qu’il est plus sage de reprendre le travail. Le 26 juin, la reprise se fait dans le calme et la confiance.

 

Les résultats ne correspondent pas à ce qu’on aurait pu attendre d’une grève aussi suivie et l’objectif principal -l’augmentation générale des salaires pour toutes- n’a pas été atteint. Cependant, des concessions catégorielles très intéressantes ont été obtenues pour deux catégories regroupant la majorité du personnel : les vendeuses et les marqueuses. Les premières obtiennent la reconnaissance de l’ancienneté dans la profession, les secondes obtiennent une classification en 4 catégories (autrefois une seule) ce qui donne à certaines une augmentation significative de leur salaire (+ 15 %). De plus, l’installation d’une cantine à Richemont et à Thionville est une concession due à l’action : pour une grande partie du personnel, cet acquit n’est pas négligeable.

 

C’est ainsi qu’une section syndicale CFDT s’est organisée en peu de temps autour d’un bureau de 14 membres, proposant des réunions d’adhérents suivies et régulières et faisant circuler un cahier de revendications pour toutes les salariées - grévistes ou non.

 

Blocage dans les escaliers du magasin de Thionville. Le piquet de grève à Richemont : installation de deux tentes, jour et nuit pendant plus de quarante jours.

Journal La cause du peuple du mardi 30 mai 1972, numéro spécial sur les grèves des Nouvelles Galeries (FE/1/469)

 

 

Pour aller plus loin

  • FE/1/468-FE/1/469 : Archives de la Fédération des Services : tracts et actions de grève des Nouvelles Galeries de Thionville
  • FE/1/26 : Analyse des grèves de Thionville
  • CE/6/1972/2487-2490 : Photographies des grévistes de Thionville
  • CE/6/1972/8443-8449 : Photographies des grévistes de Thionville
  • 92 J 13 : Archives départementales de Moselle : Fonds Jean-Marie Conraud : grèves des Nouvelles Galeries à Thionville (1972)
  • ANSELME Daniel, la Fédération des Services CFDT, LORANT Guy, MANDRAY Noël, Quatre grèves significatives, EPI Éditions, 1972, préface de Frédo Krumnov, pp. 63-104.

 

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