À l'automne 1975, en raison de leur soutien aux soldats réclamant la mise en place de comités, plusieurs militants syndicaux sont arrêtés et inculpés par la Cour de sûreté de l'État.
Carte postale éditée par la CFDT en soutien aux militants politiques et syndicaux emprisonnés
(CF/20/20)
Présentation du document
Cette carte postale a été éditée à la fin de l’année 1975 par la CFDT, en soutien à ses militants emprisonnés pour « entreprise de démoralisation de l’armée ayant pour objet de nuire à la Défense Nationale », après leur inculpation par la Cour de sûreté de l’État. Les conditions de création de cette carte postale ne sont pas connues. Ainsi, on ignore quel en est l’auteur, à combien d’exemplaires elle a été tirée, ainsi que son mode de diffusion (interne ou externe, bénéfices aux profits des familles des militaires et syndicalistes emprisonnés…). On sait toutefois qu’elle a été diffusée à une assez large échelle, puisque certains quotidiens nationaux, dont Libération, l’ont reprise.
Présentation du contexte
Afin de comprendre la situation, il est nécessaire de remonter quelques années auparavant. Ainsi, les manifestations sociales de 1968 lancent des pistes de revendications au-delà des mouvements étudiants. Elles touchent notamment les casernes, jusque-là assez peu présentes dans les mouvements revendicatifs. Le corps militaire voit apparaitre des comités éphémères, dont l’existence reste confidentielle. Finalement, le malaise chez les soldats devient visible le 10 septembre 1974, avec une manifestation des appelés à Draguignan. Dès lors, les militaires s’emploient à faire valoir leurs droits en tant que citoyens, et notamment leurs droits syndicaux.
La CFDT s’engage très tôt dans le conseil et l’accompagnement des mouvements des militaires ; loin de chercher à se substituer aux comités, elle souhaite leur apporter un certain nombre d’outils. Outre la mise en place d’une plate-forme revendicative pour les appelés (Syndicalisme n° 1576, 27 novembre 1975), elle offre aux jeunes travailleurs une information sur leurs droits après le retour du service militaire, une solidarité financière et des outils (presse syndicale, plaquettes).
Plate-forme revendicative à destination des appelés, parue dans Syndicalisme (CF/1/20)
Plate-forme revendicative à destination des appelés, parue dans Syndicalisme (CF/1/20)
La CFDT ne veut pas opposer les appelés aux militaires de carriière, fonctionnaires salariés de l’État bénéficiant à ce titre de la reconnaissance de leurs droits de citoyens, mais elle souhaite leur offrir une aide dans la reconnaissance de leurs droits, consciente que leur statut complexe (groupe social hétérogène, mobilisation sur une courte durée…) est un frein à la création d'un syndicat spécifique[1].
Toutefois, la revendication au sein d’un milieu qui n’en a pas l’habitude passe mal auprès de l’Etat–major français. Les premières mesures restrictives coïncident avec l’annonce de la création d’un syndicat de soldats, aidé par l’Union locale CFDT de Besançon. Si dans un premier temps, des soldats sont suspendus dans plusieurs villes de France, la Cour de sûreté de l’Etat décide d’étendre les perquisitions et inculpations aux militants politiques et syndicaux de la gauche : CFDT, CGT, Parti socialiste unifié (PSU), Ligue communiste révolutionnaire… En décembre 1975, 47 personnes sont inculpées, 20 seront détenues dont seulement 2 soldats. Les responsables CFDT des unions de Dijon, Besançon et Bordeaux sont inculpés et emprisonnés pour "entreprise de démoralisation de l’armée". Dès lors, la mobilisation s’organise au niveau national. Le 18 décembre 1975, une grande manifestation unitaire est organisée contre la politique répressive du gouvernement, des appels et des pétitions sont publiés. Dans un article de La Croix daté du 24 décembre 1975, Edmond Maire, alors secrétaire national, critique vivement les emprisonnements, parlant de "société liberticide"[2]. En parallèle, la CFDT édite la carte postale présentée ici, qu’elle transmet aux médias nationaux (on la retrouve dans le numéro de Libération du 8 janvier 1976), et qui assure la visibilité de son combat avec les autres organisations syndicales.
Appel de la CFDT paru dans le Monde, 26 janvier 1976 (CF/20/20)
Même si plusieurs condamnations de principes sont prononcées, les militants sont finalement relâchés au compte-goutte ; le responsable de l'Union CFDT du Doubs, en détention provisoire depuis le 4 décembre 1975, est libéré le 11 février 1976, faute de preuve. Dans les mois qui suivent, la CFDT continue à militer pour l’abandon des poursuites contre les soldats et les militants incriminés. Un non-lieu général sera prononcé le 25 août 1978.
Pour aller plus loin
[1] Source : Commission exécutive, séance du 10 juin 1976 (CG/8/420).
[2] Source : « Soldats : Noël en prison ? », article paru dans La Croix le 24 décembre 1975 (CF/20/20).